Témoignage pour Babu Karani, de Gillian Harvey
Ma première rencontre avec Babu c’était au téléphone. Entrée au CA de PA à la fin 1991, j’avais proposé d’assurer la communication avec l’Inde, c’est-à-dire avec Babu. C’était avant internet et l’échange se faisait par fax et par téléphone, très onéreux à l’époque. J’y avais accès professionnellement, et le fait d’être anglophone facilitait la tâche. J’étais amenée à l’appeler régulièrement, et après avoir traité les affaires de PA les appels se prolongeaient allègrement, aux frais de la princesse… Aussi, lorsque j’ai fini par le rencontrer nous avons eu l’impression de bien nous connaître.
Je garde un souvenir ému de notre première rencontre. J’étais arrivée à Mumbai à cinq heures du matin et Babu était venu me chercher à la gare pour m’emmener chez lui à Versova. Là, nous avons passé la journée entière à bavarder, avec juste une pause pour manger une omelette aux piments verts que Babu m’a demandé de faire puisqu’il ne savait pas cuisiner. Il m’a expliqué que sa famille c’était son neveu et sa nièce. Il les avait élevés comme ses enfants lors du décès de son frère aîné et de sa belle sœur, qui laissaient quatre enfants. Ils avaient décidé de se passer de domestique – chose rare en Inde ! – et bien qu’il ne sache pas faire la cuisine j’ai découvert par la suite qu’il participait aux taches domestiques et repassait les vêtements de toute la famille, y compris les miens. Décidément, un Indien pas comme les autres.
Avec cette première rencontre est née une longue amitié avec la famille Karani. J’ai fait plusieurs voyages en Inde avec Babu – des périples bien organisés mais au budget restreint, sans fioritures. Il était infatigable, prêt à sauter dans un bus quitte à voyager debout, et il fallait le suivre. Seule frivolité admise, le café matinal, car il ne buvait jamais de thé. Nous emportions rituellement nescafé, sucre et lait en poudre pour le breuvage sacré, et c’était avec une certaine appréhension que je regardais Babu introduire les fils nus dans la prise électrique.
Pour moi chaque voyage en Inde commençait par Mumbai. Babu, lui, établissait son quartier général chez moi quand il venait en France et en Europe. Je l’aidais à organiser son itinéraire pour voir un maximum d’amis – en Suède, en Angleterre, en Suisse….- et à jongler avec les étapes pour ne pas perdre une minute. Il s’octroyait juste un jour de battement de temps en temps pour mettre ses vêtements dans la machine à laver, et pour ouvrir une bouteille de vin à l’heure de l’apéro. J’avoue que lors de sa dernière visite en France en 2012, l’intensité de son emploi du temps m’inquiétait un peu, mais il avait une telle soif de découvrir les gens, les pays, les cultures, qu’on ne pouvait pas l’arrêter.
En février 2013 j’ai eu le privilège de faire partie du petit groupe que Babu a accompagné dans le Nord Est de l’Inde. Il voulait absolument partager sa propre découverte de cette région avec ses amis français et en faire profiter PA. C’est lui qui a organisé ce voyage d’exploration et il y a consacré énormément de temps et d’énergie. Son rêve de voir l’Assam devenir une destination pour PA s’est réalisé cette année, avec le départ du premier groupe. Je pense souvent, et avec une certaine émotion, au bonheur que cela lui aurait apporté.
A Versova j’ai fait la connaissance d’un Indien pas comme les autres, et au fil des années j’ai découvert un personnage vraiment hors du commun, avec une grande curiosité intellectuelle, une ouverture d’esprit et un désir de partager. Il était toujours prêt à répondre à mes questions sur l’Inde, quelques fois par une lettre d’une dizaine de pages ! Avec sa disparition je mesure notre perte à nous tous.